Pendant qu’il est trop tard, viens petit amant du samedi, viens lécher mes doigts, un par un. Alors que s’écoule la nuit, mange chaque parcelle de mon avocat. Entre mes cuisses, dévore les réponses à tes questions. Mais déjà, il est trop tard. Tu es devenu adulte entre mes mains. Quand tu rentreras chez toi, ta mère devinera, aux ridules de ton sourire, que ton sexe est mou, flasque de vide.
Demain matin, les livreurs de lave-vaisselle vont passer. Tu ne devrais plus être là, mais entre mes draps aux aurores, j’aurais avalé tes frayeurs nues. Ils sonneront. Et toi, tout endormi des sueurs de nuit, tu ne sauras pas où errer entre la chambre et la cuisine. Sur le parquet, tu voudras écrouler ta fatigue. Ils sont là, ils te parlent, ils s’adressent au maitre des lieux. Et toi, tu n’es qu’un sexe vide, épuisé de nuit. Ils voudront t’expliquer, et tu leur répondras que tu n’es que de passage. Ce sera faux. Nous serons.
C’était un vendredi soir. Il y avait du monde tout autour. Au coin d’une table, au coin d’une banquette noire, tu venais expérimenter ta solitude dans la foule. Je venais, en terrain conquis. Ici c’étaient mes amis, mes lieux, mes appâts. Je connaissais tout de la vie. J’en avais léché des cons, femmes et hommes, dans tous les sens du terme. J’avais ouvert mon avocat aux hommes de passage, entre deux lits refaits. Ils s’étaient rassasiés. J’avais dégagé les abrutis. Même mes entrailles ont joui, puissantes et graves. Plusieurs fois, l’amour avait fait sa couche entre les replis de mon artichaud. Plusieurs fois, il avait disparu dans des éclats de silence. J’avais pleuré aussi fort que l’intense. Il pourrait revenir, je saurais le mater d’un regard vert et pointu. Il n’y avait ni passé ni avenir. Juste le présent.
C’était juste avant qu’il ne soit trop tard, là où les feuilles sont ocre et parme. Le soleil avait éteint l’automne qui ne tenait qu’à une branche, juste avant que le vent ne taise ses couleurs flamboyantes. Les lumières tamisées d’un bar trop léché caressaient tes joues. Et je ne savais pas. J’écoutais les craintes de l’enfant que tu étais, jeune ingénu. Je ne savais pas que je savais, j’avais oublié les sexes visités, les chambres impersonnelles et les banquettes où s’écartent les cuisses. J’avais joué à saute-mouton avec les dos caressés. Sous ma paume, je ne sentais plus les verges impatientes. Je ne savais pas que ton âme pénétrait la mienne, sans mot dire.
Avant qu’il ne fût trop tard, je te disais : « tu peux dormir dans mon lit, mais ce n’est pas pour autant que nous ferons des amours nus ». Et toi, tu dormais gentiment. Je disais : « tu peux partager mes nuits mais, sous aucun prétexte, ne tente de me toucher. J’aime dormir libre de tout corps étranger ». Et toi, tu dormais sans ciller. Tu venais t’assoir à mes pieds, sur le tapis vert de gris, et je pensais : « jamais, je te montrerai l’avocat qui git au fond de ma culotte. Il est déjà bien trop mûr ». J’étais sûre d’avoir mis toutes les frontières entre ton sexe et le mien, entre ton âme et la mienne. Et tu répondais : « oui madame ». Tu me disais : « je voudrais t’embrasser ». Je riais. Tu voulais me câliner et je te laissais faire. Tu m’apportais de la tarte au citron et aux oignons. Je soufflais dans ton cou, quand tu enfilais le tablier. Et je répondais oui.
Plaqué au tapis, je te tiens, ferme comme un dimanche. C’est maintenant et personne ne le sait. Ni toi ni moi. Trop tard, je suis sur toi. Mes mains enserrent tes poignets, jeune biquet à la barbe drue. Mon noyau a sauté. Mon cerveau a basculé. Je te veux. Entier. Debout ! Enlève-moi, tout ça, lapin de six semaines ! Ton corps désir hérisse le mien. Foin des vergetures, fi des râpés de vie. Je suis la panthère qui va dévorer ton cul. Tout ! J’ai dit ! Oui même, ton slip ! Je souris à ton sexe érigé, et tes mains dans le dos. Tout autour de toi, je rugis. Je salive devant ton anneau, précieux Albert qui habite au bout. De mes griffes, j’enserre nos convoitises. Je veux posséder tes côtes, pénétrer chacune de tes veines saillantes. Ecarte les jambes. Mes mains courent de ton pubis à tes tétons, objets de tous mes vices. Tout contre ma langue, je fais chanter tes pointes, l’une après l’autre. Danse, gaou, danse jusqu’au matin où tout aura changé. Il devient trop tard. Ecarte tes jambes. Cabre-toi, poulain, cabre-toi. Deviens mien sous ma main précise. Râle. Stop, je décide tout. Enfile ta longe, fais le tour de la piste. Reviens. Je plante ma main sur ta pomme d’Adam. Tu t’étouffes sous mes volontés. Putain, tu m’excites, petit con !
O temps emporte les digues ! Tout au fond de la nuit, mon âme s’est accrochée à la tienne. Fi des promesses. Mon noyau dur a roulé sous ta franchise. J’ai attaché un baiser à tes lèvres surprises. Elles ont salivé de bonheur. Tu deviens un homme. Tu t’enfantes à nouveau entre mes cuisses. Mes yeux verts ont rendu les larmes passées. A ton anneau, mon sexe se remet. Entre dans mon avocat !
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Illustration : ici